
Curieuse de nature, je me demande aujourd'hui quelles sont les origines de la césarienne.
Quand j’entends dire par la bouche d’un homme médecin, que la césarienne est humaine -en tant que femme ayant vécu cet acte protocolé- ces paroles me troublent profondément. Oui, c’est bien là l’œuvre d’une invention humaine mais quel surprenant mouvement robotique et automatique dans cette manière de mettre au monde un enfant de chair et de sang! Cela m’a donné la curiosité de chercher à comprendre quel était l’origine de cette fameuse intervention chirurgicale et quelles en sont son histoire et ses légendes.
J’apprends que la césarienne est une des interventions les plus anciennes faite par l’homme. Et de se plonger dans son histoire revient à s’intéresser aux rapports entre l’homme et la médecine.
L’origine du mot lui-même est incertaine, il y aurait trois hypothèses:
La plus connue est que le mot césarienne serait une dérivation du mot latin caedere qui veut dire couper.
La deuxième hypothèse serait liée à la référence d’un texte romain, dans lequel on peut lire que l’opération de la césarienne appelée la Lex Regia serait ainsi légalisée. Elle imposerait la césarienne car on ne pouvait inhumer la mère sans que le fœtus en ait été extrait. Ce serait après la chute de la royauté et l’avènement des Césars que cette opération fut nommée Lex Caesarea.
La troisième hypothèse, la plus légendaire ,serait décrite dans un texte de Pline l’ancien : Jules César serait né par voie abdominale et se serait en souvenir de cette naissance que l’on aurait attribué son nom à cette intervention. Cette dernière hypothèse semble peu probable car la mère de Jules César a vécu de nombreuses années après l’accouchement et à cette époque c’était impensable de rester vivante après un accouchement par voie abdominale. On pense que Pline l’ancien faisait référence au premier des César né ainsi.
L’origine du mot reste donc imprécise mais nous offre l’intérêt d’apprendre que le Dieu de la médecine chez les Grecs est né par voie abdominale!
En effet, Esculape, Asclépios, dieu grec de la médecine, serait né arraché du ventre de sa mère Coronis (corneille) - payant de son infidélité sur le bûcher - par son père Apollon. En voici la légende :
«Alors qu’elle est enceinte du dieu, elle trompe ce dernier avec le mortel Ischys. Apollon maître de la divination, perçoit la vérité, qui lui est rapportée par une corneille (La pauvre corneille blanche fut maudite et depuis ce jour-là son plumage devint noir). Il envoie alors sa sœur, Artémis, pourfendre l’infidèle de ses flèches, mais pris de pitié pour l’enfant à naître, Appolon arrache ce dernier du ventre de sa mère qui se consume sur le bûcher. Il porte alors le jeune Asclépios chez le centaure Chiron, qui l’élève et lui enseigne l’art de la guérison».
Quelle étonnante découverte, montrant par cette légende que le métier de médecin prend ses origines légendaires dans un geste de naissance chirurgicalement mythique! Ainsi par cette légende, un rapport étroit entre médecine et divinité se révèle et montre un lien ancien, vivant et vibrant perceptif entre l’être humain et le divin.
Serions-nous sans cesse à la recherche de nos origines divines ? Et je tombe sur cette phrase:
«La déesse se montre plus maternelle à l’égard de son fils mortel qu’à celui de ses enfants divins!».
https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1990_num_207_4_1699
Comme j’aime beaucoup les histoires mythologiques, voici la trace d’une autre naissance dans la mythologie grecque par voie abdominale, celle de Dionysos:
«Il s’agit ici de la naissance de Bacchus (Dionysos), Dieu du Vin et de la Vigne. Jupiter (Zeus), dieu des dieux, chef suprême de l’Olympe, a la réputation d’avoir un certain penchant pour les aventures extra-conjugales. Il s’éprend d’une jeune femme, Sémélé, fille du roi de Thèbes, et la met enceinte. Junon (Héra), épouse de Zeus, folle de jalousie, décide de se faire passer pour la nourrice de Sémélé et pousse cette dernière à demander à Jupiter d'apparaître dans toute sa splendeur. Mais cette vision est insupportable pour les yeux d’une simple mortelle: Sémélé y laisse sa vie. Afin de sauver l’enfant porté par sa maîtresse, Jupiter décide de l’extraire du ventre de sa mère (enceinte de six mois), de s’entailler la cuisse, et d’y placer le fœtus afin qu’il puisse mener à terme la gestation. L’enfant naîtra donc de la cuisse de Jupiter, prouvant par là son origine glorieuse et supérieure. Voici d’où provient la fameuse expression populaire, qui peut aussi être utilisée avec la négation. Ainsi, « ne pas être sorti de la cuisse de Jupiter » signifie être comme tout le monde, être ordinaire, ne pas être exceptionnel. »
https://www.lalanguefrancaise.com/expressions/sorti-de-la-cuisse-de-jupiter
Pour continuer la pérégrination dans les récits mythologiques, je découvre que de nombreuses légendes indiennes évoquent la naissance de dieux sortant du flanc de leurs mères. Comme Brahma, dieu créateur de la matière et de l’univers qui naît d’une fleur de lotus émergeant du nombril de Vishnu. Quelle merveilleuse et hypnotisante vision de naissance!
Dans un autre récit indien, au moment d’enfanter Indra, maître suprême des dieux védiques, sa mère s’exprime ainsi : « ceci est le chemin connu de tous temps, par lequel naissent les dieux, c’est par ce chemin qu’il doit passer pour naître: il ne faut point que par voie anormale il tue sa mère ». Et l’enfant répond : « je ne veux pas sortir par ici, c’est un mauvais chemin ; en travers par le flanc je veux naître ».
Ces récits en provenance de l’Inde nous apparaissent plus doux et plus poétiques que les récits grecs, où les dieux n’hésitent pas à couper le corps de la femme morte pour en retirer l’enfant! Naissances d’une certaine violence gestuelle comparée à une douceur magique de la venue au monde du flanc ou d’une fleur éclose d’un nombril.
Ces naissances divines sont-elles des reflets exemplaires pour nous Êtres à la fois physiquement et corporellement mortels et Êtres lumineusement immortels? Ou est-ce une innocente vision pour nous informer que chaque être humain à en lui cet espace divin à retrouver, à sauver, à respecter, à honorer, à remercier ?
Se sentir ainsi humble et humain, face à l’improbable et l’impermanence de nos vies matérielles, qui finiront toutes par se terminer à travers un dernier souffle terrien, obéissant à l’arrêt du dernier battement de notre cœur organique.
L’Être humain cherche-il inconsciemment à ressembler à ces divinités en croyant à l’illusion qu’un enfant né par césarienne sera contemporainement mutant en adéquation avec l’évolution du monde, à l’image d’une naissance d’un dieu tout puissant ?
Les dieux en seraient-ils devenus jaloux ou au contraire en seraient-ils honorés devant tant de ferveurs à leur égard?
Ce lien qui s’établit ainsi entre la naissance de l’Être humain et celle des dieux m’intrigue et je trouve dans un article cette question pertinente avec une réponse détaillée: « À quoi reconnaît-on un dieu ? En premier lieu, à sa faculté surnaturelle d’accomplir des miracles mais aussi au fait que sa naissance elle-même est le produit d’une manifestation magique. « Jésus, Bouddha et Mohammed ont chacun leur légende, chacun leur manière merveilleuse d’arriver au monde pour accomplir leur destin. Des délivrances où il est souvent question de rêves prémonitoires, d’annonciation céleste, de phénomènes cosmique et de prodiges précoces. »
https://www.letemps.ch/culture/lorsque-divin-enfant-parait
Bouddha serait également né de façon immaculée par le flanc droit de sa mère Maya, pour être recueilli par Indra.
Quant au christianisme, il révèle « la mise au monde de son prophète sans ciel qui se déchire ni fracas titanesques, ni de procréation à partir du cadavre d’un géniteur recomposé, mais une Immaculée Conception sans douleur après deux mois de gestation. » « Et voilà Jésus qui gigote dans une mangeoire remplie de paille avec deux animaux pour amener de la chaleur aux nuits réputées glaciales du désert. L’âne et le bœuf soufflant sur l’Enfant Jésus en le réchauffant de leur souffle. »
Décidément, un jonglage admirable entre violence et douceur, entre divinité et humanité, comme cette scène que nous connaissons bien de l’enfant fatigué qui d’une seconde à l’autre rit aux éclats ou déverse un torrent de larmes. Cette dynamique qui m’habitait aussi lors de ma première grossesse car j’étais tantôt imprégnée de terreurs, tantôt envahie de souhait de douceur.
Pour les curieux de notre passé collectif, voici quelques étapes clés du développement de la césarienne:
"Entourée de mythes et de légendes, pratiquée depuis l’Antiquité mais longtemps synonyme d’une mort certaine, la césarienne n’est devenue vraiment sûre qu’au milieu du XXe siècle.
Aucun élément ne permet de déterminer si le concept de césarienne a pu voir le jour pendant la période préhistorique. Si la grossesse et l’accouchement ont fréquemment été représentés dans l’art préhistorique (peintures rupestres, sculptures), aucune représentation n’évoque une naissance par voie abdominale.
Quelques éléments font penser que les Egyptiens connaissaient et pratiquaient cette intervention. On a retrouvé une tablette cunéiforme évoquant l’adoption d’un garçon né par voie abdominale par le roi Hammourabi de Babylone (1792-1750 avant JC).
Aux alentours de 1500 avant J-C, on commence à retrouver, dans plusieurs récits mythiques et folklores de cultures différentes, diverses allusion à une naissance par voie abdominale.
Au Moyen Âge, l’église catholique encourageait cette pratique afin de pouvoir procéder au baptême de l’enfant. On n’envisageait aucunement l’amélioration du pronostic maternel ou fœtal. Cela signifie donc que la césarienne était uniquement pratiquée sur des femmes décédées en couche.
Le concile de Trèves, en 1310, note ainsi que « lorsqu’une femme meurt en couches, il faut tenter sur le champ l’opération césarienne et baptiser l’enfant s’il vit encore. S’il est mort, il faudra l’enterrer hors du cimetière. Si on présume que l’enfant est mort dans le sein de la mère, il n’y a pas lieu de faire l’opération et on ensevelira la mère et l’enfant dans le cimetière. »
« Durant l’Antiquité, il y avait plusieurs raisons de pratiquer des césariennes », explique Jacqueline Wolf, professeur d’histoire de la médecine à l’Université de l’Ohio. L’une d’elles était liée à une question d’héritage. Sans descendant vivant, l’argent possédé par la mère n’était pas remis au mari, mais à son plus proche parent.
Aussi, il est surprenant que dans l’Antiquité, l’extirpation chirurgicale du fœtus ne fût pas évoquée plus souvent et que l’on n’ait pas connaissance de quelque rituel auquel elle se soit intégrée.
Au temps où médecine, magie et religion formaient un tout indissociable, ce geste sanglant aurait dû tout avoir pour plaire au thaumaturge soucieux de frapper les esprits.
Il aurait aisément pu trouver sa place parmi les divers types de sacrifices humains propitiatoires, si fréquents chez les peuples archaïques pour lesquels en effet l’espoir en la divinité repose souvent sur une offrande dont la souffrance qui l’accompagne fait tout le prix.
Ce mode d’accouchement spectaculaire aurait transgressé de façon trop évidente l’ordre naturel des choses voulu et établi par les dieux. C’est peut-être la raison pour laquelle les récits mythologiques l’ont exclusivement réservé à la naissance de divinité ou de héros qui sont presque tous incidemment de sexe masculin.
Aussi, la probabilité de sortir indemne de ce type de chirurgie était aussi grande que de gagner au loto. « L’épuisement au moment de l’opération, le choc opératoire sans anesthésie, l’incapacité d’arrêter l’écoulement sanguin, le manque de précaution d’hygiène, l’impossibilité d’arrêter le processus infectieux lorsqu’il s’installe sont autant de fléaux qui réduisent au hasard la survie de la mère », écrit l’historienne Mireille Laget dans La césarienne où la tentation de l’impossible, XVIIe et XVIIIe siècles.
C’est à partir de la Renaissance qu’un concept innovateur apparaît, celui de la notion de césarienne sur une femme vivante, avec pour ambition la survie de la mère et de l’enfant.
Pour certains, ce serait Jacques Nüfer, éleveur de porcs suisse, qui aurait réalisé la première intervention en l’an 1500 sur sa femme. Cette dernière était restée en travail de longues heures et une bonne douzaine de sage-femmes s’étaient succédées sans permettre l’accouchement. Après avoir demandé la permission aux autorités de l’époque, il pratiqua lui-même l’intervention. L’enfant vécut, la femme également, elle donnera naissance par la suite à cinq enfants par voie basse, dont une naissance gémellaire!
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, ouvrir le ventre d’une femme vivante était encore profondément considéré, y compris par les médecins, comme un sacrilège, tant le taux de réussite était faible. « Même durant le XIXe siècle, la mortalité avoisinait les nonante pourcents, c’est pourquoi les chirurgiens évitaient cette procédure », ajoute Jacqueline Wolf, auteure de Cesarean Section, An American History of Risk, Technology and Consequence. À la césarienne, on préférait encore pratiquer une craniotomie, à savoir, la destruction du crâne de l’enfant in utero afin de parvenir à sortir le fœtus. Les cas de succès de césariennes à vif sont néanmoins plus fréquents au cours de cette période, et les chirurgiens, enhardis, se plaisent à se quereller quant à la place de l’incision, sur la pertinence de réaliser ou non, une ablation de l’utérus ou sur l’importance de le suturer.
À partir du 19e siècle, les progrès médicaux permettent le développement de nouvelles techniques de césarienne. Porro eut l’idée de pratiquer dans les suites immédiates de la césarienne une hystérectomie subtotale. Sa première intervention en 1878 sur une patiente naine rachitique dont la disproportion fœto-maternelle rendait impossible un accouchement par voie basse, fut un succès, avec survie de l’enfant et de la mère.
Il faudra attendre la généralisation des antibiotiques, en 1940, mais aussi l’amélioration des conditions d’asepsie, ou encore le progrès de l’anesthésie, pour que l’intervention devienne enfin plus sûre. Restée marginale jusque dans les années 70, la césarienne est aujourd’hui l’une des opérations les plus pratiquées au monde.
Sources et URL :
Histoire de naître. De l’enfantement primitif à l’accouchement médicalisé. Fernand Leroy https://books.google.ch/books?id=5aqgvIsStVsC&printsec=frontcover&hl=de#v=onepage&q&f=false
Légende Asclepios
https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Asclepios.html
Légende Bouddha
https://fr.wikipedia.org/wiki/J%C4%81taka
Sylvie Logean, article paru le 21 août 2018, Le Temps
https://www.letemps.ch/sciences/cesarienne-loperation-mythique-medecin-redoutait
La Lettre du Gynécologue - n° 321 - avril 2007, Une brève histoire de la césarienne
https://www.edimark.fr/Front/frontpost/getfiles/13084.pdf
Naissance des prophètes
https://www.letemps.ch/culture/lorsque-divin-enfant-parait
https://blogs.letemps.ch/philippe-le-be/2017/12/23/la-symbolique-de-la-creche-de-noel/
Mon étonnement fut grand en faisant ces recherches. De découvrir l’origine de la césarienne, cet accouchement par voie que les médecins appellent « haute » en comparaison avec la voie « basse », la voie vaginale, m’apporte de nouvelles connaissances et une vision plus claire sur ce thème. Tout nous indique que cet acte chirurgical génère aussi, malgré le fait qu’il soit devenu banal, d’énormes mémoires cellulaires de souffrances et de peurs ainsi qu’une perception d’une évidente impuissance des personnes qui entourent la femme dont l’accouchement se déroule de façon tragique et mortelle.
Générant autant d’angoisses que d’atroces souvenirs de douleurs, les drames se sont répétés, laissant des sentiments d’échec et de faiblesse à ceux qui assistaient au décès de la femme en couche. Son ventre béant d’où l’on extirpait l’enfant créant déjà la dynamique future de cette coupure qui s’établira entre elle et son bébé, par-delà la mort. On lui retirait son enfant, qui était dans la plupart des cas, déjà mort. Au service de la religion et de leurs croyances, les chirurgiens opéraient alors sacrifiant le corps des femmes. Sous l’emprise de cette pression, ils devenaient malgré leurs prouesses, responsables de la séparation déchirante et indélébile des mères d’avec leur bébé, même si ce dernier survivait. Et ce dont ils n'étaient par conscients était que le lien entre la mère et son bébé est indélébile, comme la noirceur d’une trace d’un feutre permanent utilisé sur un tissu blanc.
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