
Ma curiosité toujours autant présente de ce que notre monde a pour mémoire et conscience collective me pousse à en savoir plus. Voici avec simplicité quelques passages clés de l’histoire en Europe et en Amérique du Nord.
Jusqu’au 17e siècle, l’accouchement se pratique à la maison, dans la salle commune qui est chauffée. C’est une affaire de femmes. La parturiente est assistée par une matrone expérimentée, souvent reconnue voire institutionnalisée par l’Eglise, puisqu’elle est autorisée à baptiser les enfants fragiles. D’autres femmes de l’entourage participent à l’accouchement.
Depuis le 17e siècle et l’arrivée des hommes dans la gynécologie, les femmes semblent de moins en moins actives vis à vis de leur maternité. Contrairement à la sage-femme, le médecin ne peut pas voir le corps de la femme, ce qui complique l’auscultation. La position gynécologique qu’on connaît aujourd’hui, allongée sur le dos, est instituée à ce moment-là, pour faciliter le travail de l’accoucheur. Jusque-là, on accouchait sur le côté ou à quatre pattes.
Jusqu’au 19e siècle, l’hôpital est considéré comme dangereux, voire mortel, pour les femmes en couches. Les conditions sanitaires y sont déplorables et les risques d’infection nombreux.
Depuis toujours les femmes souffrent et ont peur de souffrir, ont recours à des décoctions, à de l’éther et autres produits pour tenter de réduire les douleurs de l’accouchement.
Puis arrivent, au milieu du 20e siècle, des techniques développées principalement au Royaume-Uni, avec Grantly Dick-Read et en URSS avec Nikolaiev et Velvosky, deux médecins inspirés par les théories de Pavlov. Ils vont mettre en avant l’idée de l’accouchement sans douleur. Au programme : mieux informer la future mère, visiter au préalable la maternité, faire des exercices de relaxation, de la kinésithérapie.
C’est dans les années trente qu’en Angleterre est mise au point une première méthode psychologique d’atténuation des douleurs due à Grantly Dick-Read qui est accoucheur dans la banlieue de Londres. En observant les femmes en travail et en étudiant des pratiques médicales variées, il construit peu à peu une méthode d’accouchement « sans peur », fondée sur la conviction que, dans certaines circonstances, l’esprit peut commander au corps.
En 1933, dans son premier ouvrage Natural Childbirth, il condamne l’accouchement « scientifique » sous anesthésie générale, largement pratiqué de son temps, et propose l’accouchement « selon la loi naturelle ».
Pour cela, il faut briser le cycle fatal Peur-Tension-Douleur : la peur entraîne une tension des muscles, en particulier de l’utérus, et c’est ce qui cause la douleur. Pour atténuer la douleur il faut d’abord supprimer la peur en préparant la femme qui va accoucher. Après avoir été instruite des différentes phases du travail, elle doit faire preuve pendant la phase de dilatation de patience et de contrôle de soi grâce à la pratique de la relaxation. Au moment de l’expulsion du fœtus, elle doit être capable de fournir un gros effort physique auquel elle aura été préparée.
En URSS, dans les années 1949-51 est mise au point une autre méthode d’accouchement, fondée sur la psychologie dite psychoprophylactique. Son initiateur, le psychiatre Velvovski, formé à l’hypnose et disciple du physiologiste Pavlov, a mis au point une méthode simple pour atténuer les douleurs obstétricales sans recourir aux anesthésies et analgésies médicamenteuses.
À cette époque ou l’URSS se relève difficilement des pertes et destructions de la Seconde Guerre mondiale, les médicaments sont pour la plupart inaccessibles et pourtant il faut encourager les femmes à procréer. Cette méthode repose sur la conviction que l’accouchement est un acte physiologique qui n’est pas naturellement douloureux. Des séances de préparation sont organisées où les femmes enceintes ne sont pas hypnotisées, mais restent en pleine conscience. À l’aide d’exercices de respiration, de massages, de marches légères, elles doivent arriver à déconnecter leur cortex des sensations douloureuses de l’utérus, de manière à ne plus éprouver la douleur.
En janvier 1950, le magazine Life consacre un long article illustré de belles photos, à un accouchement « sans peur », réalisé à la clinique de l’université Yale. Cet engouement du grand public s’explique par le début d’un refus des protocoles en vigueur dans la plupart des hôpitaux américains qui imposait à la parturiente une série de protocoles invasifs : lavement et rasage du pubis, administration de calmants, accouchement sur le dos, bras et jambes attachés à la table, anesthésie souvent générale, avec pour conséquence l’utilisation fréquente des forceps et le recours quasi-systématique à l’épisiotomie.
Les suites de couches étaient souvent difficiles à cause de l’atonie des mères et des bébés et des pratiques systématiques de séparation des mères et des nouveau-nés au nom de l’hygiène.
La naissance « naturelle » de Dick-Read et surtout, quelques années plus tard, la méthode Lamaze vont redonner du pouvoir aux femmes sur leur corps et permettre aux couples d’être ensemble lors de la naissance de leurs enfants.
Aux USA la méthode Lamaze connaît une seconde jeunesse grâce aux mouvements New Age, féministes et de contre-culture. Pour ces jeunes femmes des années 1970, les douleurs obstétricales ne doivent pas être effacées, mais surmontées, pour faire de l’accouchement « naturel », si possible à la maison, un véritable rite de passage, en lien avec la Terre-Mère.
En 1973, se tient dans le Connecticut, à Stamford, une rencontre internationale sur la naissance. On y conteste le pouvoir des hommes sur le corps des femmes et on exalte la capacité des femmes à enfanter avec un accompagnement soutenu. Il faut insister ici sur le fait qu’aux USA, comme au Canada, les sage-femmes ont été éradiquées par les obstétriciens depuis la fin du XIXe siècle au nom de la modernité
Dans un premier temps (entre 1960 et 1970), les couples ont adhéré à cette vision médicale « moderne » qui promettait une naissance « dirigée » et « sans risque ».
Assez vite, cependant, des femmes déterminées, s’inspirant d’acteurs venus d’Europe (Read, Lamaze, Leboyer, Odent) militent pour l’accouchement « conscient », puis pour « l’humanisation » de la naissance.
La question de l’accouchement à domicile pose problème aux promoteurs de la psychoprophylaxie, à cause des risques pour la mère et le bébé. L’accouchement en milieu hospitalier serait préférable à condition qu’il soit « humanisé ».
Afin de dissuader les couples d’accoucher à la maison, les maternités offrent de plus en plus de lieux agréables, des procédures médicales allégées et sont favorables à la présence des pères, dont est reconnu le rôle de soutien que le personnel n’a pas le temps de faire.
Dans le même esprit, sont ouverts des Centres de naissance alternatifs gérés par des sage-femmes avec transfert possible vers un hôpital en cas de besoin.
À partir de 1975-80, apparaissent de nouvelles technologies : déclenchement du travail, monitoring, perfusion d’ocytocine, péridurale, césariennes de routine.
On insiste sur la faible médicalisation (pas de déclenchement, pas de monitoring, pas de perfusions, pas d’accouchement sur le dos, pas de péridurale systématique) et sur la présence du père. On expérimente le yoga et d’autres techniques de relaxation.
Les sage-femmes sont en voie de reconstruction, mais n’ont pas réussi à prendre la place des obstétriciens. Mieux formées, elles sont entrées massivement dans les hôpitaux.
Dans les années 1970 et 80, les témoignages sur les abus de la surmédicalisation de l’accouchement, renforcés par la montée du féminisme, aboutissent à des critiques encore plus sévères des pratiques hospitalières.
En 1985, Isabelle Brabant n’hésite pas à proclamer dans la revue féministe La Vie en rose, que « La naissance est politique ». Accoucher ou se faire accoucher ?
Trois revendications émergent de ces assemblées militantes : que les parturientes soient respectées et écoutées dans leurs souhaits de non intervention, qu’un corps de sage-femmes professionnelles soit reconstitué, que soient ouvertes des maisons de naissance tenues par des sage-femmes.
Les maisons de naissance existent, mais n’accueillent que 3% des naissances. Césariennes et anesthésies ne cessent d’augmenter. Il est maintenant question d’ « humaniser la médicalisation ».
Si Francine Dauphin rappelle avec ironie que "l'on n'accouche pas en buvant le thé", elle regrette cependant que la mise au monde naturelle soit réduite aux souffrances qu'elle engendre. "Les femmes sont conditionnées à un moment terriblement douloureux, elles cherchent à comparer la douleur à quelque chose mais ça n'a strictement rien à voir. Les contractions seront variables tout au long du travail, connaître le déroulé physiologique de l'accouchement permet de diminuer la peur".
Selon elle, l'accompagnement durant la grossesse et un contexte rassurant le jour-J sont indispensables pour bien accueillir les sensations et les gérer. "Une fois que l'on comprend que les contractions sont là pour faire sortir le bébé et non pour nous faire mal gratuitement, ça change tout".
L’évolution de l’accouchement nous montre l’importance de l’accompagnement de la femme lors du travail, l’importance de la connaissance des techniques et du déroulement de l’accouchement qui aideront la femme à apprivoiser la douleur, l’importance de la présence du père pour soutenir la mère.
Marie-France Morel, « L’accouchement, une longue histoire », La Vie des idées , 3 septembre 2015. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/L-accouchement-une-longue-histoire.html
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